Silencieuse

Je ne me souviens plus à quel âge j’ai commencé à écrire. Mais j’ai commencé et je ne me suis jamais arrêté. L’écriture m’a rendu la parole, m’a sortie du silence dans lequel je m’enfermais depuis toujours. Elle m’a donné une voix, la possibilité de m’exprimer les jours de tempêtes, les jours où le poids sur ma poitrine et ma gorge nouée m’empêchaient de respirer, de parler. Ça a été ma bouée de secours. Des mots écrits à l’encre bleu sur une page blanche. Récits d’une vie, ma vie.
J’ai jamais été timide, jamais eu peur de m’exprimer devant des gens, de donner mon avis sur toute sorte de sujets, de briser les tabous et les préjugés des gens. D’après mes amies, c’est une de mes qualités principales, j’ai aucun tabou, elles peuvent parler de tout avec moi.
Mais mes amies les plus proches savent que ce n’est pas tout à fait vrai. Il y a un sujet tabou, c’est moi-même. Il ne faut pas me parler de moi, jamais.
Cette conversation ne mènera nulle part, elle est sans intérêt. Lorsqu’il s’agit de moi, je deviens muette, incapable de parler, de m’exprimer normalement. Je ne suis pas sincère, je mens, j’esquive les questions. Alors je me réfugie dans l’écriture.
Mais parfois, mes yeux sont fatigués de mentir, mon sourire ne suffit pas à convaincre les gens que tout va bien. Ils remarquent les cernes sous mes yeux, les élastiques à mon poignet, mon regard vide.
J’ai compris avec le temps que si je voulais qu’ils y croient, il fallait que j’y croie aussi. Alors, j’ai bloqué mes émotions. Depuis des années je ne laissais rien paraître devant les gens mais je m’étais autorisée à être sincère avec mes amies les plus proches et surtout, avec moi même. Je m’étais autorisée à gommer ce fameux sourire de mon visage lorsque je me trouvais seule face au miroir. Je permettais parfois à mes amies de voir la personne que j’étais sous mon sourire.
Mais les choses ont changé, cacher mes émotions en public ne me suffisait plus. Je ne voulais plus voir la détresse dans le regard que je croisais dans le miroir. Je ne voulais plus que les larmes retenues pendant la journée s’écoulent une fois seule dans ma chambre. J’avais l’habitude de cacher mes émotions mais cacher n’était plus suffisant pour moi, je ne voulais plus ressentir. J’ai arrêté de laisser mes amies voir cette petite partie de moi sans sourire. Je ne me suis plus jamais permise de les laisser voir des larmes rouler sur mes joues. En m’enfermant dans mon silence, je me suis déconnectée de mes émotions, je me suis perdue. J’ai arrêté d’écrire, je ne pouvais pas écrire l’histoire d’une personne qui m’était devenue étrangère.
Alors je suis devenue complètement muette.
Il y a quelques temps, j’ai perdu une personne de ma famille. Je la voyais comme une troisième grand-mère, on était très proches.
Le jour où mon père m’a appelé pour m’annoncer que c’était terminé, j’ai répondu « okay merci de m’avoir prévenue » et j’ai raccroché. J’ai parlé de ce décès à personne, en 14 ans, c’était la première fois de ma vie que j’assistais à un enterrement. Tout le monde pleurait, j’ai soutenu les gens de ma famille, j’ai été là pour ceux qui en avaient le plus besoin, j’ai distribué les mouchoirs, mais je ne ressentais rien. Il y a 2 jours, ça a fait un mois que cette personne est décédée, je ne ressens toujours rien.
J’ai toujours été très attachée aux personnes qui m’entourent, mais je suis devenue insensible. Je ne ressens plus rien. Je ne peux plus m’exprimer