PDV Lila

Allongée sur le canapé, l’air nonchalante et les jambes débordant de l’accoudoir, je lançais quelques brefs mots à Carolyn dans l’espoir de la faire taire, mais en vain.

- Il se rappelle de ton nom au moins ?

- Oui.

- T’as répondu quoi quand il t’a demandé comment tu allais ?

- Mhh… Je crois que je l’ai pas fait, j’ai juste commenté sa performance en match.

- Tu l’as analysé de haut en bas pendant qu’il jouait, et là, tu lui lances les statistiques, c’est ça ?

- Je dirais pas ça comme ça… j’ai juste commenté quoi.

- Bref, tu t’es tapé la honte de ta vie, cool.

- Bah non, il m’a répondu.

Elle s’arrêta, comme si je l’avais mise en pause.

- Il a dit quoi ?

- Que ce n’est pas son niveau habituel et qu’il a fait ça pour réaliser le rêve de son équipe.

- Profond, le mec.

- Je le trouve plutôt mature à mon avis, j’aime pas les Bad boys, lançai-je en tirant la langue, le regard malicieux.

Elle me répondit d’un doigt d’honneur rapide puis se leva pour disparaître dans la cuisine. Je levai les yeux au ciel, perdant le peu de lumière que j’efforçais à faire paraître sur mon visage en sa présence. Elle m’a toujours dit que c’était le seul genre de mec qui pouvait avoir une chance avec elle, mais jusqu’à aujourd’hui, elle n’en a jamais eu.

Quant à moi, je restais perplexe face à ma réaction à Eden, j’étais tendue, c’est pourquoi j’ai lancé des propos inutiles à première vue, mais qu’Eden a rendus intéressants. Et je l’en suis reconnaissante. En réalité, je commence même à culpabiliser sur ma réaction quand on s’est échappés de Kay l’autre fois… Je me demande ce qu’en aurait pensé Carolyn. Aurais-je refusé son aide trop violemment ? Néanmoins, il aurait pu prévenir avant de m’entraîner loin de Kay après leur bagarre… Si je me rappelle bien, on s’était réfugiés de la pluie dans les escaliers du métro d’à côté, et il m’avait prêté sa veste en cuir… que j’ai jetée aussitôt. J’étais tellement furieuse qu’il soit intervenu que j’ai perdu mes moyens. Je me demande ce qu’il en a pensé, de ma fuite nocturne, juste après lui avoir hurlé un “Va te faire foutre” au visage.

Je me rappelle bien de sa silhouette figée sous la pluie battante ; la forte faible lueur des lampadaires perforait ses mèches désormais mouillées, atteignant ses yeux noisette qui brillaient autant sous l'effet des rayons lumineux que d’incompréhension. Sans trop savoir pourquoi, cette scène m’avait arraché un petit sourire, malgré l’intensité des événements.

Mais aujourd’hui, il a fait comme si de rien n’était. À vrai dire, je me sens mal pour lui…

Je balayais cette pensée puis me levai pour aller voir Carolyn, pourvu qu’elle ne boude pas. Peu importe, tentons le coup.

- Carolyn ? T’es assise toute seule ?

Aucune réponse.

- Allô ? Je te parle là ? Me dis pas que tu boudes pour ça…

Toujours rien, elle ne semble pas vouloir interrompre sa session de scroll. Bon, je crois que je sais ce qu’il me reste à faire… Aller lui acheter des sushis comme d’habitude. À chaque fois qu’elle fait la tête, il suffit de lui en acheter pour qu’elle retrouve le sourire. Je parie qu’elle tomberait instinctivement amoureuse du premier mec qui l’emmènerait manger des sushis. Peut-être que le livreur du “Sushi House” aurait une chance, qui sait ?

Je soupirais, puis me retirais de la cuisine laissant place au silence pesant sur le lieu. J’attrapai ma veste, ouvris la porte d’entrée, provoquant un mince grincement qui rompit le silence, suivi immédiatement d’un grincement de chaise cette fois-ci. Un frisson me parcourut le dos.

- Un paquet de sushis ne suffira pas cette fois.

Aïe… Elle m’a cramée.

J’haussai les épaules alors qu’elle se dirigeait vers sa chambre. Le violent claquement de porte qui me fit sursauter en disait long sur son humeur. Décidément, il va falloir bien choisir les sushis cette fois.

Quelques secondes plus tard, j’étais dehors, mon portefeuille dans la poche de mon pyjama. Je claquai légèrement la porte puis m’arrêtai net.

Mince, mon manteau… je l’ai oublié à l’intérieur…

Je toquai à la porte dans l’espoir d’avoir une réponse, mais rien n’y fit.

- Quelle idiote ! Mais bien sûr, tu ne m’ouvriras pour rien au monde.

Je me résignai donc à parcourir le long chemin qui m’attendait… en t-shirt oversize.

L'atmosphère était humide et la lumière jaunâtre que reflétaient les lampadaires, aussi parfaitement alignés que les arbres qui bénéficiaient de leur lueur, laissant paraître un charme unique, sinistre mais paisible, m'avait redonné la sensation de paix dont j'avais besoin. Je me sentais plus libre, plus heureuse, à en oublier presque le froid tranchant qui transcendait mon corps. J'avais vécu des nuits semblables, mais bien moins joyeuses ; à la moindre erreur, je passais la nuit dehors, ce fut parmi les punitions les plus courantes que je recevais de mes propres parents. Au final, je suis bien heureuse de les avoir quittés si tôt.

Ce ne fut qu'après avoir aperçu le Sushi House que je sentis des larmes traverser mes joues, s'engouffrer au bas de mon menton puis quitter ce dernier pour se mêler à la pluie battante qui s'abattait sur mon corps tremblant.

Je voulus exprimer mon dégoût à haute voix, mais mes lèvres gelées ne voulurent pas obéir. Je me laissai alors tomber sur les genoux, abattue autant par les souvenirs du passé que par la triste réalité qui me faisait face. Kay était là, juste devant moi. Et derrière lui, le Sushi House, dénué de lumière et aussi vide que le regard qui semblait me transpercer, criant compassion et pitié.

Attends... Kay est... triste pour moi ?

- Kay... ? ...C... C'est toi... ?

De nouvelles larmes commencèrent à couler, me privant du luxe que me procuraient mes yeux pour tenter de cerner cette silhouette toujours aussi parfaitement immobile. Mon souffle s'accéléra brusquement et le froid tranchant que j'aspirais me donnait l'impression d'avoir les poumons en feu. Ma vue se brouilla et je réalisai que mes membres ne répondaient plus.

- Hey ! Tiens bon, ne tombe pas !

Des mains me rattrapèrent juste à temps ; mon désir d'apercevoir le visage de cette silhouette avait atteint son apogée. Je voulus lever la tête pour assouvir ce désir, mais cela m'était interdit ; cette personne me portait, courait très vite, et me tenait fermement, que je ne puisse faire de mouvement.

- Essaie de tenir bon, je t'en supplie !

Je sentis une larme chaude tomber sur ma joue, mais mon attention était ailleurs ; cette personne me portait. Cette personne courait très vite. Cette personne m'implorait de ne pas m’évanouir... Cette personne n'était pas Kay.

Je me rappelle très bien de cette voix : cette personne est Eden.

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