Question (Fille / 2002)

Bonsoir,

Aujourd'hui, je suis sur ce site et j'écris ce message sans vraiment attendre une solution ou réponse de votre part, j'ai juste besoin d'écrire.
Alors que je n'avais que 4 ans, ma mère est décédée d'une leucémie. J'ai ainsi grandi avec mon père uniquement (je suis fille unique). Au début, jusqu'à environ mes 14 ans, tout allait pour le mieux. Je n'ai pas eu une relation spécialement fusionelle avec mon père mais nous nous entendions bien.
A mes 14 ans, un cauchemar éveillé a commencé. Cela a commencé par des remarques blessantes, moqueries, insultes, aux bousculades puis aux coups et pour finir aux abus sexuels allant jusqu'aux viols.
Pendant quatre longues années, j'ai subi, chaque jour, sans relâche. Pourtant, tous les jours, j'allais à l'école et plus tard au gymnase sans que personne ne le remarque. Pourquoi ? Parce que je suis la fille qui sourit tout le temps, la fille qui aime rire et faire rire les gens, la fille qui n'aime pas les problèmes et qui veut répandre la joie autour d'elle.
Mais pendant 4 longues années, après avoir passée ma journée au gymnase, le soir, je rentrais avec une boule au ventre parce que je savais ce qui m'attendait. Chaque jour différent de la semaine, il y avait une violence prévue à l'avance, chaque jour, selon l'agenda, il s'agissait de violence physique, psychologique ou sexuelle.
Vous, qui êtes en train de lire ces lignes derrière votre écran, j'aimerai que vous vous mettiez à ma place. J'aimerai sincèrement que pendant une minute, une seule minute, vous imaginiez ce que c'est de vivre l'innommable pendant quatre longues années sans que personne ne s'en rende compte. Essayez d'imaginer une adolescence comme la mienne et essayez surtout de construire un avenir à partir de ça.
Je vous en veux tellement si vous saviez. Je sais que vous n'êtes en aucun cas responsable de ce que j'ai subi mais j'en veux aux adultes de ne pas avoir su voir ma détresse en temps voulu.
A l'heure où je vous écris ces lignes, j'ai eu l'occasion d'aller voir la LAVI à mes 18 ans qui m'a aidé à mettre fin à cette histoire. Il y'a donc 6 mois que je subis plus rien, mais contrairement à ce que vous pourriez penser, je ne vais pas mieux. Comment aller mieux ? Comment aller mieux après tout ça, comment envisager un avenir quand on a connu de la violence pendant quatre longes années et que la personne qui nous les a fait subir est la personne qui est censé nous guider dans la vie ? Comment voulez-vous que je batisse ma vie avec une mère décédée et un père qui m'a fait autant de mal ?
J'ai tenté d'aller voir un psychologue, j'ai suivi une "thérapie" pendant trois mois et j'ai décidé d'arrêter parce que, comme tous les autres adultes, il me disait que "ça ira mieux". NON. NON ÇA N'IRA PAS MIEUX. Après tout ce que j'ai subi, je pense que je suis prête à encore encaisser le fait que ça n'ira pas mieux. Je vous en supplie, arrêtez de me vendre du rêve et faites si ce n'est qu'un semblant d'effort pour réellement essayer de comprendre mon ressenti et mon point de vue.
On me parle de guérison, de processus, de chemin pour guérir, d'espoir, d'amour, d'avenir, alors que moi je ne ressens plus rien, juste le vide. Ou non, de la colère. De la colère contre contre le monde entier, et j'ai tellement envie de le crier mais aucun mot ne veut sortir de ma bouche. J'aimerai être quelqu'un d'autre, avoir une autre vie, m'inventer une nouvelle identité et faire un lavage de cerveau.
J'en veux pas à quelqu'un en particulier, j'en veux à la vie, j'en veux à moi même, j'en veux à cet homme, j'en veux à ce qui me disent que ça va aller. J'ai envie de tout casser, tout déchirer, tout recommencer, tout oublier, avoir une nouvelle vie et n'avoir jamais vécue celle-là. On me parle de tellement de choses, on a envie de m'aider et moi je réponds par l'affirmative mais je sais que c'est trop tard. C'est gravé en moi. J'ai été détruite. Et par mille pitié, ne m dites pas le contraire.

Bonne soirée.

Réponse

Ton chemin a déjà été parsemé de nombreuses embûches. Nous voulons que tu saches que tu es extrêmement courageuse de prendre le temps de nous écrire et de nous envoyer ton message !  

Alors non, nous n'allons pas te dire que "tout va aller" et nous n'allons pas non plus te dire que "rien va aller" ! Car aucune de ces phrases est juste !

Aujourd’hui, tu es en colère : en colère contre cet homme, en colère contre la vie, contre ce thérapeute, en colère contre le monde entier … Ce sentiment que tu ressens est normal au vu de l’inimaginable de ce que tu as vécu. Mais ce sentiment de colère est aussi une force incroyable qui montre à quel point tu as envie de te battre, ce que tu as fait en allant chercher de l’aide auprès de la LAVI, d’un thérapeute et en nous écrivant aujourd’hui.

Lorsqu’on vit des expériences aussi difficiles que les tiennes, on a souvent l’impression qu’on ne pourra jamais s’en sortir, que tout est gravé comme une blessure qui ne guérira jamais. On aimerait alors juste pouvoir tout laisser tomber, tout oublier … S’il n’existe malheureusement pas de baguette magique pour faire disparaître cette blessure, en prenant du temps et en acceptant de l’aide, elle peut guérir et se transformer en une cicatrice qui fera à jamais partie de toi, mais qui ne sera plus aussi douloureuse et insupportable que ce qu’elle est actuellement. 

Même s’il est difficile de le voir, un avenir peut encore s'ouvrir devant toi : pas celui que tu aurais eu sans avoir vécu ces épreuves, mais un autre avenir, différent, qui pourra t’apporter tout autant de belles choses.

À te lire on sent que tu es forte ! Nous t’encourageons donc à continuer à faire ce que tu as débuté : ne pas rester seule et t’entourer de personnes et de professionnel-les qui sauront t’écouter et t’aider dans ta reconstruction.

Nous te mettons en lien des infos et adresses qui peuvent t’être utiles.

Prends bien soin de toi. Nous t'accompagnons et restons volontiers à ton écoute si tu le souhaites.


Centre LAVI - CIAO
Association ESPAS - CIAO
Dernière modification le 22 janvier 2021

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Avec le soutien financier de la Confédération, en vertu de l'ordonnance sur des mesures de protection des enfants et des jeunes et sur le renforcement des droits de l'enfant.

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